Ok alors tu vois, là y'a le héros.
C'est lui. Il s'appelle Martin. Ouais, il a pas du tout la carrure du héros. Il est gros. Gras. Il a des joues de hamster et un ventre qui pendouille. Ouais, mais c'est lui. C'est le héros de l'histoire. Il est maladroit et se casse souvent la gueule en marchant, dans les escaliers, dans la rue, un peu partout. Oui. Il est tout juste capable de trainer une épée, de se trainer lui-même... C'est juste. Mais c'est le héros. C'est Galdouf le magicien, qui l'a prédit, avec ses cailloux. Alors c'est lui. Avec ses cheveux bruns aussi bouclés que gras. Avec ses yeux fétiches aussi grands que marron. Il est là, assis à la table de la taverne, et il attend.
La taverne du dindon enchanté ; vous devez connaitre. Allez, je suis sûr que vous y avez déjà mis les pieds au moins une fois. Non ? Bon, tant pis. Vous loupez quelque chose.
Et donc il attend, accoudé à cette table, une limonade posée devant lui, ses poings écrasant ses joues. Il attend Galdouf. Le magicien, donc. Et il est en retard. Mais comme on dit, un magicien n'est jamais en retard, ni en avance d'ailleurs. Il arrive précisément à l'heure prévue.
Il se trompe simplement de jour, vous voyez ?

Martin demande une paille au serveur. Il aime bien les pailles, pour boire ses limonades. Il en demande toujours une. Il aime bien faire du bruit avec, quand il boit, qu'il arrive à la fin de la bouteille. Mais ça fait chier les gens, souvent. Il comprend pas vraiment pourquoi ni comment, mais passons, on l'a déjà frappé à cause de ça. Il a eu un bleu pendant des mois.
Il met finalement sa paille à la bouche, commence à la mâchouiller en pestant contre Galdouf. Qu'est-ce qu'il peut bien faire encore ? C'est pas qu'il voulait pas être un héros, mais il était bien chez lui, au chaud. Là il fait froid, il est tôt, il a même oublié de mettre son manteau. Il râle, il s'ennuie, il s'occupe en faisant des bulles, en gesticulant, en étant bruyant.
Le magicien finit par arriver. Il est grand, mince, il a une barbe aussi longue que blanche, des yeux bleus, des mono-sourcils charnus, gris et blancs, qui lui cachent un peu les yeux. Et puis son chapeau, et puis sa toge. Un peu grise, un peu verte, un peu tachée par le gras des poulets qu'il a dû manger la veille, allez savoir. Il salue le jeune héros sans s'excuser de son retard.. C'est un magicien, il avait forcément des trucs à faire, avant de venir.

-Tu es à l'heure, c'est bien.

A peine arrivé qu'il se permet déjà de faire des remarques, sur la façon dont il boit, sur son dos qu'il tient pas droit, alors que lui n'est même pas à l'heure. Martin tu es un héros, conduis-toi comme tel, qu'il lui dit.
Mais Martin n'est pas un héros. Martin est un feignant, un idiot. C'est ce que disait toujours sa tante Bertha, et lui, il y croit. Il sait que c'est vrai. C'est un feignant, un sot, et il ne fera jamais rien de sa vie, c'est sûr. Il se redresse, ronchonne sans rien vraiment dire. Il lance un regard au barbu qui a enfin rejoint sa table, se demandant ce qu'il fait vraiment là, et puis le vieille homme prend la parole, après avoir demandé une bière bien mousseuse :

- Comme tu le sais, Martin, je suis un magicien. Je suis donc capable de lire l'avenir grâce à ces pierres. Il sort de sa poche des cailloux plats, noirs, gravés de signes étranges et inconnus du jeune homme. Ce sont des runes. C'est grâce à elle que je t'ai retrouvé, après avoir voyagé durant des semaines et des mois à travers le monde. Elles m'ont guidées jusqu'à toi, et aujourd'hui, c'est à mon tour de te servir de guide. Il examine Martin, son t-shirt trop court ou son ventre trop volumineux, ses joues roses et dodues, sont ses  doigts semblable à de toutes petites saucisses, boudinés, tout gras, tout collants comme ceux d'un enfant qui touche à tout. Il n'est ni beau, ni laid. Il n'a pas de famille, et encore moins d'amis. Il a juste cette vieille peau d'vache qui l'a élevé, Tante Bertha, et puis Saumon. Saumon, son cochon. Et aujourd'hui, il s’apprête à vivre la vie dont tous les jeunes rêvent. Tous les jeunes, sauf lui. La vie palpitante et épique d'un héros.